Cachoeira
Un marché à Cachoeira / Au voleur / Un cigare qui ne fut pas fatal
Nous avons remonté le rio Paraguaçu jusqu'à Cachoiera et Sao Felix. Le fleuve, à la sortie du lagon Iguape, se tortillonne étroit entre des collines sauvages, plantées de cocotiers et d'arbres exotiques des plus divers, et va distrait d'un banc de sable à l'autre, ce qui oblige à faire une navigation en zigzag, l'oeil rivé sur le sondeur.
Nous allons d'un way-point à l'autre, seules indications données par un guide nautique acheté à Bahia. Il n'y a aucune carte de l'endroit.
Enfin, après deux bonnes heures, touchera-touchera pas, voici Cachoiera et juste en face, Sao Felix.
Papadjo au mouillage
Cachoiera a connu son heure de gloire au temps de la colonisation portugaise qui a semé moultes couvents et Eglises chargés d'or et d'azulejos, tout comme des entrepôts d'esclaves.
L'indien a été évangélisé après force lutte (Cachoeira fut détruite une fois par les indiens) et l'africain fut introduit comme esclave dans les plantations de canne à sucre et de café.
Qu'est-ce-qu'il reste de tout cela ? Le peuple,essentiellement africain, laisse ici et là des témoignages de sa vie d'esclavage, tel ce triptique de bois sculpté qui forme la devanture d'un café, retraçant la servitude et exhibant le mot "libertade" d'un livre entrouvert.
Il y a aussi le marché où le paysan vient étendre ses jaca, ses ananas et bananes sur de grandes feuilles de palmes comme on fait en face, en Afrique. Sa femme se charge des volailles vivantes qu'elle groupe sur le sol pour la vente.
Quant aux marchands de chaussures, ils se contentent, modernité oblige, de les aligner soigneusement sur le capot de leur voiture.
Sur le fleuve, l'inlassable aller et venue de longues pirogues de pêcheurs locaux et le lancer adroit de l'épervier témoignent également de ces pratiques coutumières de navigation et de pêche qu'on retrouve par exemple en Casamance.
Lancer de l'épervier sur le fleuve
On parle aussi du Condomblé qui réunit beaucoup d'adeptes ici. Mais nous n'avons pas voulu payer pour suivre une cérémonie dite religieuse et donc savons peu sur ce sujet.
De l'indien, il reste des métissages, l'amour du cheval manifesté un peu partout, dans la rue, le long du fleuve, monté ou conduit par les rennes par des hommes fluets, aux visages en lame de couteau, sombrero bien planté sur la tête.
Ou bien, sculptés dans la pierre, les visages des chefs qui ont lutté puis se sont rendus à l'évangile plutôt qu'à la mort, mais en tirant la langue.
chef indien tirant la langue sur parvis d'une église du 16em
En tout cas, cette petite ville est très agréable. On pense qu'il n'y a pas de problèmes de sécurité ici. Pourtant, ce matin, du bateau, j'ai entendu une femme crier " Ladron", "Ladron". (au voleur, au voleur).
Cela aurait dû me servir d'avertissement. Mais on ne peut pas toujours savoir où se niche le voleur, encore moins quand il sert la maison de Dieu.
En fait, Soeur Adeline, rencontrée près du vendeur de jus de canne et qui parlait le français nous aide à trouver une personne dans son couvent pour laver notre linge. Il s'agissait d'une employée à la cuisine.
Hervé et le vendeur de jus de canne à sucre/Au fond Papadjo au mouillage
J'amène le linge. Nous convenons d'un prix, lequel était déjà assez élevé, par rapport à la norme.. En climat de confiance, nous acceptons : 4 kg de linge pour 2O réals soit, 5Ofrs. Lorsqu'Hervé vient rechercher le linge, uniquement lavé, il s'agit de 4O réals. Le double. La bonne femme ne veut pas en démordre et ne lâche pas le linge. Hervé n'a pas assez de portugais pour se défendre et ne veut pas le scandale. Il paye.
Soeur Adeline avec au fond la prison des esclaves adossée à l'église
Quelle n'est pas ma fureur quand il revient ! Il n'est pas question de laisser les choses en l'état. Nous ne retrouvons pas la même bonne soeur. Nous en trouvons une autre, italienne qui insiste pour que je vienne avec elle voir ma voleuse. Entre temps, elle me confie que tout disparait dans le couvent depuis que cette femme y travaille ! et bien ! en voilà une affaire.
L'entrevue est orageuse. Notre lavandière, plantée sur ses courtes jambes, n'en démord pas. Elle a l'aplomb que lui donne une sacrée expérience. Lorsque je l'examine, je suis saisie par son visage, de type africain, criblé de points noirs comme si une résille s'était imprimée sur sa chair. C'en est stupéfiant ! Je me demande si ce que je vois est bien réel. La soeur essaie d'obtempérer. Je ne vois pas l'intérêt et dans une colère "noire", fascinée par tous ces petits points noirs, je vise l'autre droit dans les yeux et lui clame haut et fort en matière de conclusion
"Dieu te voie, tu es une voleuse. Et moi, je te voie, tu es une voleuse !" et je quitte. Tout le couvent a entendu. Quand on crie "au voleur", c'est pour que cela s'entende ! mais relativisons : on braque dans les grandes villes les touristes pour leur caméra, la chaine au cou ou le porte-monnaie ! Le vol était ici fort propre !
Enfin tout cela m'a bien soulagée ! On en rit tous les deux, Hervé et moi, tout en allant en face, à Sao Felix, visiter la fabrique artisanale de cigares, Danneman. Il s'agit du dernier établissement de cet ordre. Il est luxueux et se veut également centre d'art. Comme signe avant-coureur de ce qui va m'arriver, je pose, ingénue et souriante, devant une sculpture représentant les méfaits du tabac.
Nous avons droit à un acceuil royal, deux guides rien que pour nous, un qui parle l'espagnol et l'autre qui relaie en anglais.
Nous passons d'un poste de travail à l'autre. Les ouvrières sont vêtues du costume traditionnel, elles sont toutes extrèmement qualifiées avec dix et plus d'années d'expérience.
Ces cigares, de différentes qualités, sont destinés principalement à l'exportation et constituent des produits de super luxe. Pour les meilleurs, les feuilles de même qualité sont assemblées une à une et roulées avec dextérité. Le goût doit en être inaltérable, comme celui d'un grand cru.
Une femme, toujours en habit traditionnel, tient le bar et savoure un gros cigare. Elle nous offre un café. Je regarde cette femme. Ca doit être un must que ce cigare !
C'est alors qu'elle m'en tend un. Mais, ce n'est pas possible, ça ! Ca fait trente quatre ans ( l'âge de ma fille Gwnenola) que je n'ai pas fumé. Hervé est là qui regarde intensément. Combien de cigares n'a-t'il pas refusé à l'issue d'un bon repas parce que j'y mettais le véto ? Va-t'elle, vat-'elle pas ? Ah! sacrilège ! honte ! misère ! elle va, mais oui, elle le prend ce cigare. Allumé, elle le fume, le savoure, comme la meilleure chose du monde. Sacrebleu, c'est qu'il est bon !
Evelyn en grand danger après 34 années de sevrage.
-Ah! Evelyn, mais tu me déçois, honte à toi ! si tes enfants te voyaient !
Aie, Aie ! mais je laisse dire, tout dans la saveur de l'instant, l'oeil certainement un peu diabolique. Aurai-je, moi aussi, une myriade de points noirs en train de former résille sur mon visage !
Soudain, un courant d'air éteint le cigare. C'est fini. Je ne le rallumerai plus. Mes enfants pourront me voir ! et pour bien marquer que ce n'était qu'une petite folie de quelques petites secondes, je tiens à ce qu'Hervé me photographie, sur le bateau, en train de faire tomber cet excellent cigare dans l'eau de mer.
Evelyn lance le cigare à l'eau, avec le sourire !